Ce dernier, âgé de 25 ans, étudiant en architecture à Nantes, fut depuis cet accident atteint d’une infirmité et une expertise médicale a fixé à 80% son incapacité permanente partielle. Par l’intermédiaire de son avocat du barreau de Nantes, Me Kieffier, Serge Libeau s’est retourné au civil contre la Fédération Française d’Escrime et contre le club «L’Epée sablaise» demandant 50 millions de francs de dommages et intérêts (environ 80 millions d’euros actuels).
Le processus judiciaire fut particulièrement long puisque 5 arrêts ont été prononcés par des juridictions différentes.
PROCESSUS :
– Tribunal des Sables d’Olonne – 1959
– Cour d’Appel de Poitiers : arrêt du 15 juin 1960
– Cour de Cassation Chambre civile le 13 décembre 1963 avec renvoi
– Cour d’Appel d’Angers : arrêt du 2 mars 1965
– Cour de Cassation Chambre civile du 28 juin 1967
Le 13 décembre 1963, la Cour de Cassation a renvoyé les parties au motif que :
– tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (…)
– les juges du fond qui, statuant sur la responsabilité d’un accident survenu au cours d’un assaut d’escrime posent les termes d’une alternative dont aucun n’est reconnu à lui seul suffisant pour déterminer l’origine du dommage, ne sont pas dispensés par cet examen de rechercher si la réunion des circonstances qu’ils ont successivement envisagées n’avait point, dans un rapport complexe de cause à effet, concouru à la production du dommage.
– et ils ne donnent pas de base légale à leur décision dès lors qu’ils s’abstiennent de s’interroger sur toutes les conséquences des faits par eux constatés.
Cependant, le 2 mars 1965 la Cour d’Appel d’Angers a prononcé un arrêt défavorable à Serge Libeau qui a donc fait déposer un pourvoi en Cassation.
L’arrêt de la Cour de Cassation énonce les éléments suivants pour justifier sa décision, elle aussi défavorable à Serge Libeau :
Attendu :
– que selon les énonciations de l’arrêt infirmatif attaqué, Libeau a été blessé au visage par l’épée de Moulineau, traversant son masque au cours d’un tournoi organisé par « L’Epée sablaise » .
– que Libeau estimant que la forme tronconique de la pointe de l’épée a favorisé sa pénétration à travers le masque par écartement d’une maille de celui-ci, a assigné en dommages-intérêts l’organisateur du tournoi et la Fédération Française d’Escrime à qui il reproche l’adoption de cette pointe ;
– que la Fédération Française d’Escrime a appelé en garantie la Fédération internationale d’Escrime qui a choisi cette pointe ;
ATTENDU QUE LA COUR D’APPEL D’ANGERS, STATUANT COMME COUR DE RENVOI APRES CASSATION PAR LA CHAMBRE CIVILE, LE 13 DECEMBRE 1963, (…) A REJETE LA DEMANDE DE LIBEAU;
– attendu que le pourvoi fait grief à cet arrêt d’avoir ainsi statué, d’une part, en négligeant de s’expliquer sur les circonstances de l’accident pour s’en tenir à une théorie erronée du risque sportif et à des généralités sans répondre aux motifs du jugement dont la confirmation était demandée alors que, d’autre part, les dirigeants du sport d’escrime n’étaient pas dispensés d’essais de sécurité qui n’avaient pas eu lieu ainsi que le soutenait le demandeur dans ses conclusions restées sans réponse ;
– MAIS ATTENDU QUE L’ARRET RELEVE QUE LA POINTE INCRIMINEE A ETE ADOPTEE DEPUIS 1953, POUR EVITER LA RUPTURE DE LAME QUE FAVORISAIT L’ANCIENNE CONCEPTION, QU’ELLE A ETE MONDIALEMENT UTILISEE ET QU’IL ETAIT ATTESTE QUE LA FEDERATION INTERNATIONALE D’ESCRIME S’ETAIT LIVREE A DES CENTAINES D’EXPERIENCES INFRUCTUEUSES POUR LA FAIRE PENETRER A TRAVERS UN MASQUE ;
– attendu que les juges du fond observent, en outre, qu’il n’était pas établi que le changement de pointe ait aggravé, par rapport à ce qu’il était auparavant, le risque inhérent à la pratique de l’escrime ;
– QUE DE CES CONSTATATIONS ET ENONCIATIONS, LES JUGES D’APPEL, NON TENUS DE SUIVRE LES PARTIES DANS LE DETAIL DE LEUR ARGUMENTATION, ET QUI IMPLICITEMENT ONT REPONDU AUX CONCLUSIONS, ETAIENT FONDES A DEDUIRE QU’AUCUNE FAUTE NE POUVAIT ETRE RELEVEE CONTRE LA FEDERATION INTERNATIONALE D’ESCRIME, NI CONTRE LA FEDERATION FRANCAISE D’ESCRIME, NI CONTRE L’EPEE SABLAISE, ET, PARTANT, ONT LEGALEMENT JUSTIFIE LEUR DECISION ;
PAR CES MOTIFS :
– REJETTE LE POURVOI FORME CONTRE L’ARRET RENDU LE 2 MARS 1965 PAR LA COUR D’APPEL D’ANGERS.
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Ainsi, malgré son incapacité permanente partielle fixée à 80%, Serge Libeau, victime d’un accident gravissime d’escrime, n’a pu obtenir de dommages-intérêts devant les Tribunaux qui ont estimé que l’adoption, pour les assauts d’escrime, d’une épée ayant une pointe de forme tronconique, ne constituait pas une faute à la charge des fédérations d’escrime, cette forme de pointe, mondialement utilisée, ayant été adoptée après des centaines d’essais infructueux pour la faire pénétrer à travers un masque, et cette adoption n’ayant pas aggravé le risque inhérent à la pratique de ce sport.
Philippe Brossard-Lotz
Le Reporter sablais