TENNIS Sport. Découvrez l’Affiche 2025 de Roland-Garros (Réd. Les Sables-d’Olonne)
Le 19 décembre 2024
Chaque année depuis 1980, la Fédération Française de Tennis associe l’art contemporain au tournoi de Roland-Garros en confiant la réalisation de son affiche à un artiste.
Au terme d’un processus de sélection, la FFT a choisi Marc-Antoine Mathieu pour concevoir celle illustrant l’édition 2025 du tournoi de Roland-Garros, qui se déroulera du 19 mai au 8 juin.
Marc-Antoine Mathieu, graphiste, illustrateur et auteur de BD, propose une oeuvre singulière qui met à l’honneur la bande dessinée et laisse place à l’imagination.
Il exprime, à travers son univers pictural et toute sa sensibilité, sa vision du Grand Chelem parisien.
ENTRETIEN
Comment est née cette affiche ?
Je n’avais aucune idée préconçue, même si je suis un amateur de tennis et que j’adore jouer sur terre battue. Donc, le processus a commencé par une forme d’imprégnation en allant sur place à Roland-Garros afin de sentir l’ambiance très particulière, les couleurs qui sont importantes, les lumières… Le processus de création est tou- jours compliqué à définir ; c’est un peu comme une recette de cuisine, il y a une part de hasard. Cette fois, les images sont venues ; ce n’est pas toujours le cas.
À quoi ressemble-t-elle ?
Il s’agit d’une jonction entre la BD et le court de tennis. Je me suis amusé à presque transfigurer le tracé d’un court de tennis, à le marier avec le gaufrier d’une bande dessinée. Dès le départ, j’avais envie d’utiliser ces trois couleurs, le bleu du ciel, le jaune de la balle de tennis et le rouge de l’ocre du court, ce qui me ramenait aux trois couleurs primaires que les graphistes utilisent beaucoup.
Comment votre univers de dessinateur de BD s’intègre-t-il à celui de Roland-Garros ?
À partir du moment où j’ai réalisé qu’un court de tennis vu en plan ce sont des cases de BD (les couloirs, les carrés de service…), que cela fait exactement dix cases, de formes différentes, qui peuvent former une page de BD, je me suis dit qu’il serait trop bête de ne pas essayer ce mariage-là. Ensuite, il fallait trouver un récit.
Que raconte votre affiche ?
Elle ne raconte rien de précis, c’est justement son intérêt. Normalement, une affiche doit être perçue et comprise immédiatement, avoir une forme d’efficacité. Là, je voulais qu’elle contienne une histoire qui soit complètement interprétable par le « regardeur » ; elle interroge le regard. Il y a quand même cette idée évidente d’un écoulement du temps, d’une fin d’après-midi à Roland-Garros à un début de soirée, en passant d’un bleu ciel à un bleu nuit. Je donne les signaux que du temps a passé puisqu’on retrouve le court la nuit, avec les étoiles. Souvent, pour cela, il y a du texte, des explications. Là, j’avais simplement envie que ça se fasse par la couleur. Le court s’est endormi, peut-être que le match continue, on ne sait pas vraiment… Que se passe-t-il la nuit à Roland-Garros quand tout le monde est parti ? On peut formuler plein d’hypothèses, c’est ce que je trouve intéressant dans une image. J’aime bien travailler sur des récits qui sont des propositions. J’espère qu’avec cette affiche, les gens pourront se créer leur propre match, leur propre après-midi à Roland-Garros.
Dans l’une des cases, on semble être dans la tête d’un joueur de tennis, dans ses réflexions…
Toute personne qui a joué au tennis ou même aux échecs, qui aime l’esprit du duel, connaît ce sentiment quand on a gagné, perdu, quand on est frustré. Le sport permet ça : connaître des sensa- tions qu’on n’éprouve pas ailleurs, augmenter les sensations qu’on peut avoir dans la vie. Dans mon récit, je voulais exprimer ce ressenti intérieur.
Quelle technique avez-vous utilisée ?
Dessinateur avant tout, je démarre avec un petit crayon tout simple sur un cahier pour noter des idées, qui se transforment en croquis. Ensuite, un jeu de construction, qui ressemble à un tra- vail d’architecte, se met en place. Dans l’affiche, il y a des lignes de tension assez prégnantes qui reprennent plus ou moins les perspectives d’un court de tennis regardé de face ou de profil, ou même à la télévision. Quand on le voit en plan, on est toujours étonné de constater qu’il est beaucoup plus long que ce que l’on pensait. Dans l’affiche, des lignes se répondent de case en case et forment une charpente. De cette façon, le re- gard est tenu, il ne pourra que mieux rêver après. Une fois qu’on a ce dessin, on utilise de l’encre de Chine avec une plume ou un pinceau, puis on le numérise. La phase de post-production sur ordi- nateur permet de peaufiner, d’affiner les couleurs, car je ne suis pas peintre. On peut aller très loin dans la recherche et la définition des paramètres. La terre battue est plus qu’une teinte, il s’agit d’un pigment pas facile à rendre sur une image.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour la finaliser ?
Entre les premiers croquis et la finalisation, de mai à septembre, il s’est passé environ quatre mois. Durant ce laps de temps, j’ai fait d’autres choses, mais on est tout le temps un peu dedans. À cer- tains moments, on formalise des choses, puis on laisse retomber. À d’autres, le cerveau travaille en tâche de fond. Ces images que l’on doit créer sont en gestation permanente, un peu comme pour un scientifique, un chercheur. Parfois, ces recherches se cristallisent dans une image, une formule ou un signe. Durant le processus de création, on vit en permanence avec cette douce obsession. On est dans le sujet, on croit le tenir et puis non, pas tant que ça… On fait des allers-retours dans ce travail de créateur, de chercheur, de laborantin, d’explorateur. Une fois que l’affiche est finalisée, on pense aux déclinaisons : est-ce qu’on la met en mouvement ? Est-ce qu’on change de format ? Est-ce pertinent de trouver une autre typogra- phie ? Il s’agit d’une deuxième phase tout aussi intéressante.
Avez-vous regardé, analysé les affiches précédentes ?
Oui, forcément, pour ne pas refaire ce qui avait été fait et éviter d’être ridicule ! Et j’en ai trouvé de magnifiques, comme celle de Pierre Alechinsky (Ndlr : l’affiche de l’édition 1988). Ou celle de Fabienne Verdier (en 2018), une artiste flam- boyante dont je connais le travail avec ses gros pinceaux-balais. C’est pour moi la meilleure af- fiche. Elle représente un geste, celui du rebond, qui parle au monde entier, alors qu’on ne voit pas du tout la balle. Elle parle aussi bien à un Chinois qu’à un Sud-Américain ou un Lapon. C’est com- plètement universel. Moi aussi, j’ai essayé de proposer quelque chose d’universel.
Philippe Brossard-Lotz
Le Reporter sablais
(Sources © FFT)